La sortie du film « Bécassine » de Bruno Podalydès, en juin 2018, a été l’occasion pour Kristian Gallic, historien plouvornéen, d’exhumer un personnage pour le moins audacieux, Mona, qui, au-delà de la pièce de théâtre qu’elle inspira, campe une page douloureuse de l’histoire de la Bretagne dans les années 1920-1930.
Qui ne connaît Bécassine ? Apparue en février 1905 dans le premier numéro de La Semaine de Suzette, journal destiné aux fillettes bien-pensantes, Bécassine est la première héroïne de bande dessinée. Petit bout de femme naïve pour ne pas dire sotte, voire ridicule, elle est loin de faire l’unanimité en Bretagne. Les militants bretons de l’époque voient, à juste titre, à travers ce personnage, une image dégradante de la Bretagne et des Bretons.
Beaucoup de souffrance s’exprime, en effet, à travers Bécassine. En 1920, de nombreuses bretonnes sont obligées de monter à la capitale pour trouver du travail et échapper à la misère. Embauchées dans des familles bourgeoises où elles sont exploitées, maltraitées et parfois violées, elles reviennent au pays comme des parias cachant souvent une grossesse non désirée.
C’est en 1936, sous l’impulsion de Marie Le Borgne, institutrice à Plouvorn, que l’anti-Bécassine se fait connaître par le rôle de Mona dans la pièce « Bécassine vue par les Bretons ». Comédie dramatique écrite par Léone Calvez et Herri Caouissin, la pièce fut jouée au patronage de Plouvorn, le 26 décembre 1936, puis à Vannes pour le traditionnel « Bleun-Brug » en présence de l’Évêque.
La troupe de théâtre des jeunes filles de Plouvorn était alors animée par Melle Louise, la directrice de l’Ecole N.D. de Lambader. Il s’agit de Louise Marc’hic, de Hanvec, une religieuse enseignant en séculat (en noir) en raison de l’interdiction de porter le costume religieux en classe jusqu’en 1941. Dotée d’une forte personnalité, Louise Marc’hic militait à sa façon pour une culture bretonne décomplexée, attitude bien osée à l’époque ! Tout comme celle de Marie Le Borgne qui fit preuve de beaucoup de cran pour jouer le personnage de Mona.
Sur la couverture en couleur du livret de « Bécassine vue par les Bretons », Mona, l’anti-Bécassine, se tient debout, la tête haute, piétinant sa stupide concurrente !
Dans le jeu de scène, Mona apparaît comme une jeune fille sympathique qui doit quitter sa Bretagne pour subvenir aux besoins de ses frères et sœurs orphelins. Sérieuse et polie, elle est dotée de surcroît d’une réelle personnalité et est bien décidée à se faire respecter ! Lorsque sa patronne lui demande, par exemple, de quitter sa coiffe et son costume, elle refuse tout net, expliquant qu’ils sont la fierté de toute bretonne.
Tout au long de la pièce, Mona fait face aux mesquineries des personnes de son nouveau milieu. Grâce à son intelligence, elle parvient à gagner la sympathie de Nicole, la fille de la maison, et à tourner en ridicule l’attitude de ses amies parisiennes, qui, pour faire modernes essaient de se donner un genre inspiré des anglaises…Tout en se délectant de kouign amann sans avoir la moindre idée d’où il vient !
Le dénouement de la pièce est surprenant car, par un jeu de hasard, Mona sortira de la pauvreté et fera preuve de générosité envers ses patrons.
Afin de mieux cerner l’état d’esprit qui animait les auteurs de la pièce, nous reproduisons ici la note de l’éditeur :
… « Bécassine vue par les Bretons », présentée sous la forme d’une pièce de théâtre, est une réponse magnifique à ceux qui ont tenté de ridiculiser les Bretonnes en les représentant sous les traits d’une marionnette frisant la bêtise, l’ignorance et affublée d’un accoutrement ridicule, tournant en dérision le costume breton féminin. Ce personnage répondant au nom grotesque de « Bécassine » est devenu légendaire et a été savamment utilisé par certains pour bafouer la Bretagne. Dans « Bécassine vue par les Bretons », Léone Calvez et Herri Caouissin nous montrent sous son vrai jour celle qui a été ainsi surnommée et la font « relever le gant » comme on pourra le voir dans les pages qui suivent. Nous avons tenu à publier une traduction française intégrale de la pièce pour qu’elle puisse être également représentée dans les localités de Bretagne où la langue bretonne n’est malheureusement ni connue, ni parlée. Mais, dans les localités bretonnantes, dans les villes mêmes où l’on parle le breton, nous insistons pour que la pièce soit donnée avec le dialogue bilingue, pour deux raisons très justifiées : 1/ L’on fera ainsi sur la scène une place honorable à la langue bretonne « Ame de la Bretagne ». 2/ L’action sera plus réelle. Pour permettre à toute la Bretagne bretonnante (Léon, Cornouaille, Tréguier, Pays de Vannes) de jouer la version bilingue, nous publions deux éditions : l’une avec dialogue breton K.L.T. et l’autre avec dialogue du Morbihan. Ces deux éditions comportent la traduction française. La présentation élégante et les illustrations soignées font de cet ouvrage, relié, un superbe album pour enfants. Le sujet touchant au possible, d’une portée morale constitue une lecture attrayante pour la jeunesse. Enfin nous espérons que cette pièce sera applaudie sur un grand nombre de scènes de Basse et Haute Bretagne, surtout à l’heure actuelle où les Bretons sont de nouveau bafoués dans un film odieux tourné en Bretagne. Il est donc grand temps de clamer bien haut que nous sommes décidés à nous faire respecter et que nous sommes ni des « Bécassines » ni des « Bécassins ». « Bretons oui, et fiers de l’être ! ». C’est le but que se sont proposés d’atteindre les auteurs de « Bécassine vue par les Bretons ».
L’auteur : Kristian Gallic est passionné et féru d’histoire et de culture bretonne. En grand connaisseur du patrimoine de la commune de Plouvorn, il y anime, depuis plus de vingt ans, des visites commentées dans le cadre de la commission patrimoine de l’Office du Tourisme du Léon.